En février 2017, j’ai ouvert la Clinique Reversa, un programme d’enseignement de l’alimentation faible en glucides (LCHF) et du jeûne intermittent et d’accompagnement avec Sylvie, mon infirmière, dans le même édifice que la clinique de médecine familiale où je travaille. Pour inciter les gens à s’inscrire à notre programme, nous avions donné une conférence gratuite quelques semaines auparavant.
En tant que Québécois, vous savez qu’il n’y a rien à propos d’une sombre et frigorifiante soirée de semaine en janvier pour inciter quiconque à quitter le confort de sa maison, de son feu de foyer ou de son chocolat chaud, pour venir assister à une conférence. Malgré tout, quelques âmes courageuses se sont présentées et nous avons ainsi pu démarrer nos deux premières cohortes.
La personne qui adopte une alimentation faible en glucides en a beaucoup à apprendre et cet apprentissage se fait souvent par la lecture, les expériences personnelles et les progrès. En tant que médecin, il y en a également tellement à apprendre que même les plus confiants d’entre nous peuvent se décourager et remettre à plus tard cet apprentissage.
Une des premières choses que j’ai apprises en tant que médecin qui prescrit le LCHF à ses patients était quelles prises de sang demander au départ, lesquelles suivre et pourquoi. Il importe de savoir ce qui est normal, ce à quoi l’on peut s’attendre et ce qui peut être totalement anormal aux yeux de la médecine standard, mais totalement correct dans le contexte de l’alimentation LCHF.
La déprescription des médicaments Je crois que la deuxième chose que j’ai dû apprendre a été ma préférée : la déprescription des médicaments. En Amérique du Nord et presque partout au monde, j’imagine, nous sommes très bien formés à la prescription de médicaments. Le diabète de type 2 est un excellent exemple : nous le diagnostiquons et, ensuite, il s’agit d’ajouter et de combiner différents médicaments, d’augmenter les doses, puis de commencer l’insuline et d’augmenter les doses… indéfiniment.
Ces patients ne s’améliorent pratiquement jamais. Ils deviennent de plus en plus malades, fatigués et en surpoids. Ils ont des complications que nous traitons avec encore plus de médicaments et d’interventions. Mais, c’est bien ce que l’on nous a enseigné, n’est-ce pas? Nous suivons les lignes directrices, n’est-ce pas? Et, donc, nous aidons nos patients, n’est-ce pas?
La première fois que j’ai déprescrit un médicament contre le diabète de type 2, j’en étais euphorique. Après seulement quelques semaines d’une alimentation faible en glucides, certains de mes patients avaient des glycémies faibles à normales, avaient perdu du poids et se sentaient bien. En effet, ils étaient assis devant moi, dans mon bureau, le sourire fendu jusqu’aux oreilles.
« Je pourrais m’y habituer! », ai-je pensé. Ce que j’ignorais à l’époque était la dépendance que cette déprescription de médicaments engendrerait. Cette satisfaction de constater que les patients allaient de mieux en mieux.
Deux semaines plus tard, encore des suivis. Davantage de patients LCHF qui allaient bien et qui devaient arrêter ou diminuer certains de leurs médicaments. Rédiger une déprescription devenait le highlight de ma journée. Je regardais ces bouts de papier et je me sentais fière de mes patients et heureuse de pratiquer cette médecine. J’ai d’ailleurs conservé l’original de mes premières déprescriptions. J’envisageais les encadrer et les installer sur un des murs de ma chambre, pour me rappeler, le matin en me levant, pourquoi je faisais tout cela malgré les risques pour mon permis de pratique de médecin. Hélas, mon chum a refusé catégoriquement de me laisser garnir les murs de ces trophées. Il n’est pas dans le domaine de la santé, alors il ne comprend pas tout à fait la satisfaction professionnelle qui y est rattachée.
Mais je peux vous dire QUI la comprend et l’apprécie : mes collègues professionnels de la santé! Je pense que tout ce que ça prend, c’est un succès, un patient qui vient soudainement au bureau pour dire à son médecin qu’il va mieux. Le médecin ne peut pas croire qu’il déprescrit un médicament pour une maladie qu’on lui avait enseigné être « chronique et progressive ». Il ou elle se sent encouragé(e) à offrir cette option thérapeutique à d’autres patients… et la dépendance d’installe!
Sur Facebook, je suis membre d’un groupe secret de femmes médecins canadiennes qui s’intéressent à l’alimentation faible en glucides pour elles-mêmes, leur famille et leurs patients. À plusieurs reprises, j’ai dit aux membres de ce groupe : « Ce n’est pas nécessaire de tout savoir à propos de l’alimentation faible en glucides et céto pour commencer vous-même ou pour conseiller vos patients. Vous apprendrez et vous vous améliorerez au fur et à mesure que vous et vos patients progresserez. Pas besoin que ce soit parfait. Pas besoin que ça prenne beaucoup de temps. Pas besoin de mettre sur pied un gros programme avec des grosses cohortes et beaucoup de logistique. Il suffit de commencer avec un patient. Il suffit d’accepter de faire le saut, parce que les patients méritent de savoir que ceci est une option thérapeutique, qu’elle est soutenue par la science et qu’elle est efficace. ».
Je termine souvent avec une mise en garde pour mes collègues : « Sachez que vous risquez de retomber amoureux de votre profession et de vous rappeler pourquoi vous aviez choisi la médecine, en premier lieu. La déprescription peut provoquer une dépendance! ».
Vous êtes prévenus.
Dre Èvelyne Bourdua-Roy